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Faut-il taxer le carbone? (1)

Repenser l'économie

La taxe carbone est la solution préférée des économistes à la crise écologique. Pour Nicolas Jutzet, vice-directeur de l’Institut Libéral, cette mesure est la seule qui permette de régler le problème sans attenter à la liberté. En taxant les activités polluantes, on laisse en effet agir le marché: l’individu continue de choisir ce qu’il consomme et comment il vit, mais les prix qu’il paye pour ce faire reflètent à présent les coûts mortifères de la pollution.

Une taxe carbone aurait le mérite de pénaliser systématiquement les activités polluantes, quelles qu’elles soient, poussant le consommateur comme les producteur vers des produits, services et procédés moins émetteurs. Cette mesure plaît aux économistes et aux libéraux en raison de son caractère automatique: nul besoin pour le législateur de passer en revue les différentes activités, produits et méthodes de production, pour décider lesquelles sont vertes. En taxant directement les producteurs d’énergie et les industries polluantes à hauteur de leur émissions, on intègre à l’ensemble de l’économie, par le biais des prix, une incitation à être moins polluant. En augmentant progressivement le taux de la taxe, on laisserait à la société le temps de s’adapter tout en la poussant inexorablement vers un capitalisme vert. On éviterait aussi l’effet rebond: en l’absence d’une taxe carbone croissante, plus on développe des technologies vertes qui nous rendent moins dépendant·es des fossiles, plus on fait baisser leur prix, les rendant plus attractifs et accroissant leur usage.

Si elle peut être un moyen efficace de décarboner l’économie, cette mesure présente plusieurs problèmes. D’abord, elle court le risque d’être régressive: les riches polluent plus que les pauvres, mais ces derniers consomment une plus grande proportion de leurs revenus. Les riches paieraient donc plus en tout, mais moins en proportion de leur revenu. Pour éviter cette injustice, une taxe carbone pourrait être associée à ce que les Allemands appellent Klimageld: les recettes seraient reversées à la population résidente, chacun·e en recevant une part égale. Ceux qui polluent moins que la moyenne (dont les plus pauvres) gagneraient ainsi au change, tandis que ceux qui polluent davantage y perdraient. Loin d’être socialement régressive, la taxe carbone couplée à un Klimageld serait ainsi redistributive.

Si la taxe carbone n’est donc pas fatalement antisociale, elle a d’autres inconvénients: on peut ainsi douter de son efficacité. Si l’on prend l’exemple de campagnards ou périurbains ne pouvant se passer de voiture, on voit que la taxe carbone ne pousse pas automatiquement vers des comportements plus verts: pour changer de moyen de transport, encore faut-il avoir des alternatives. La réponse libérale à cette objection serait que la taxe carbone inciterait les entrepreneurs à proposer des services plus verts, par exemple des transports en commun (électriques?) comme alternative aux voitures thermiques individuelles ou des habitations plus denses, mieux isolées et mieux situées pour réduire le coût en énergie du chauffage et les déplacements nécessaires. On peut toutefois douter que le marché propose assez rapidement les alternatives que la situation exige: la réduction rapide de nos émissions de CO2 ne peut se faire sans changement radicaux dont la temporalité exclut les solutions de marché. Le Plan de transformation de l’économie française, élaboré par le laboratoire d’idées The Shift Project, est instructif à cet égard: un système de transports respectant les objectifs climatiques de l’Accord de Paris exigerait un basculement du transport de marchandises vers le ferroviaire, des circuits d’approvisionnement plus courts, une expansion des transports en commun, un moindre usage des voitures individuelles, qui devraient devenir électriques, plus légères et aérodynamiques et une généralisation du vélo cargo pour les fins de chaîne. On peut douter qu’une réorganisation de cette ampleur puisse se produire assez rapidement par le seul mécanisme de la taxe carbone, sans investissement, régulation et coordination par la puissance publique.

Si la taxe carbone peut être utile et n’est pas forcément antisociale, elle paraît insuffisante pour réaliser les transformations nécessaires à la bifurcation écologique. Dans ma chronique du 13 août, je reviendrai sur un aspect de l’argumentaire en faveur de la taxe carbone: l’assimilation du marché à la liberté et la démocratie.

Michal Gadomski est étudiant en histoire économique et membre de Rethinking Economics Genève.

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mardi 27 février 2024

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